Pour accompagner Charles Juliet
Une rencontre et une amitié depuis 1977 : ensemble, de nombreuses rencontres et échanges, des livres et textes partagés, des rencontres lectures : à Cavaillon, Lyon, Vénissieux entre autres, des entretiens publiés dans des revues ou dans un livre collectif, des traductions de poèmes de Miguel Hernandez, une passion commune pour le chant, la voix, la musique, pour l’art.
Je suis touché par sa vie sobre, discrète à l’aune de son enfance paysanne dans la famille Ruffieux à Jujurieux, par sa vie sans cesse attentive aux autres comme à soi, aux blessures comme aux joies, au désir d’être et de renaître malgré tout.
Au-delà de son absence, maintenant, il y a sa présence, inachevée. Pour lui et celle qui a partagé sa vie, ce texte Nuidité de la main, publié une première fois en 2019 dans le livre Fraternellement Charles Juliet aux éditions Jacques André, dirigé par Marie-Thérèse Peyrin / La Cause des Causeuses, avec de nombreux témoignages de lectrices et de lecteurs et dont j’ai écrit la préface.
jgc
Nuidité de la main
à Charles et M.L.
Charles Juliet est un revenant, il revient à la vie, après la blessure profonde. Revenant, il écrit pour retenir la vie, l’incessante vie, la cherchant dans l’impossible oubli.
Son écriture est creusement, enfouissement, mais aussi source, surgissement, sachant la naissance plurielle, tout le long de la vie, temps de doute, temps de question.
Au fil du temps, son écriture traverse la douleur, puis se fait écoute, regard, hospitalité, joie. Elle traverse l’insupportable et l’apaisement.
Elle est au plus intime de soi, tout contre, mais aussi écart, traversée de visages, de lieux divers, de paysages, dans la solitude et dans la rencontre.
C’est une écriture tendue vers la solitude et la rencontre. Écriture nodale dans ses tensions, ses intensités mais disséminée dans la main d’écrire : journal d’abord - peut-être le puits ou la source de tous les mots -, poème, entretien, essai, dialogue, nouvelle, roman-vie (l’écriture de fiction vient, mais dans un long cheminement - la marche accompagne l’écoute, le regard, le retour vers les mots).
C’est une écriture qui ne s’attache pas à un genre. Évidemment les genres littéraires existent, mais ils n’ont aucune importance. Peut-être, Charles Juliet est ici, dans ces mots de Jean-Marie Gustave Le Clézio. Pas de genre. Il y a ici d’abord un irrépressible désir de lire et d’écrire, la faim seule des mots.
Dans ses livres, Charles Juliet revient creuser la lumière. Il sait peut-être ces mots de Macedonio Fernandez : A un certain moment, un livre n’est qu’une chose qui intercepte la lumière.
Chaque lectrice, chaque lecteur, traversant ses livres, peut revenir, plus avant, naître, plus avant.
J’attache ici les mots de Charles Juliet à ceux de Maria Zambrano et de Samuel Beckett.
De là ce tremblement, cette indicible peur de ce que ces feuillets qui furent écrits soient considérés ou apparaissent comme un livre. [...] Cela, peut-être, parce que quelqu’un, dès lors qu’il se trouve dans l’obligation de naître, même s’il est déjà né, ne peut écrire un livre qu’à l’état naissant. En disant ce qu’il a à dire, mais dans cet état où le « moi » retrouve son innocence.
Maria Zambrano
Naître plus avant
Samuel Beckett
Nous savons l’importance de la lecture pour Charles Juliet, elle est au cœur battant d’écrire. Pensons, ne serait-ce qu’à Lire un bon livre (Aencrages & Co, 1999), à Ces mots qui nourrissent et qui apaisent : phrases et textes relevés au cours de mes lectures (POL, 2008), à Lire, écrire (Voix d’encre, 2013).
Une pure lecture, une lecture qui n’appelle pas une autre écriture, est pour moi quelque chose d’incompréhensible et sans doute l’a toujours été. Seules m’intéressent, mais alors violemment, les oeuvres qui m’ont donné envie d’écrire, précise Roger Laporte.
Lisant les livres de Charles Juliet, nous écrivons en marge, à côté, tout contre ses mots : Dans la lumière des saisons, il y a la marche où viennent, silencieux, les mots et l’avidité de vivre, des instants sans oubli près d’une source, la main, après la venue silencieuse des mots, la main finit par écrire. Pour faire nu avec le monde, la vie, l’écriture, celle d’écrire dans le vif, dans la nuidité de la main.
(2018 - 2024)
Jean Gabriel Cosculluela
ps : le mot nuidité est un mot pour dire ceci : faire nu avec le monde, la vie, l’écriture, chercher un mot de peu, un chant pauvre, un chemin nu, noter l’humble au silence près.