par Ivar Ch’Vavar
La poésie, dans un sens, est morte, et tout l’art aussi. Néanmoins il faut refuser cela. Il y a eu une mort de la poésie, j’ai demandé aux poètes de considérer le fait, et d’en partir, - pour repartir.
Je sais bien, cela semble spécieux... Il y a là une contradiction dans laquelle je me suis sévèrement empêtré, et ce qui est terrible c’est que je ne sais pas penser, je ne suis pas une tête pensante alors que là, il faudrait penser très fort ! C’est un moment, dans l’histoire de la poésie, où il faut être un rude dialecticien...
Pas dans mon cas, donc. Alors qu’est-ce que je fais ? Il fallait revisiter toute l’histoire de la poésie – et tout réexpérimenter – et j’ai voulu m’intéresser aussi à ce qui la distingue des autres formes d’expression artistique, et forcément, à un moment donné, je suis tombé sur le vers. Le vers était bloqué : on ne pouvait pas en inventer un nouveau : ou c’était le vers compté (syllabique) ou le vers libre ou alors la prose...
Au Jardin ouvrier, on a commencé par le commencement : la forme, la forme-poème, le vers. Oui, on est revenu sur le vers, et on en a inventé un nouveau, en plusieurs types (justifié, arithmonyme...). Je ne peux vraiment pas traiter de ce point ici : trop long ; je renvoie au texte-témoin qui ouvre l’anthologie Cumann na amadain.
En inventant ce vers, on n’a pas tardé à comprendre qu’on venait donner en plein dans la question (à peu près complètement tabou) de l’Inspiration. Parfaitement ! et je ne vous épargne pas même la majuscule...
L’Inspiration, oui, je l’ai appelée rage – ce vers, inventé par nous la contrarie et la provoque. Il la provoque parce qu’il la contrarie. ; parce qu’il va contre, il la fait venir. Je n’ai jamais été un poète formaliste, mais il faut bien commencer par quelque chose et il n’y a pas de poésie sans forme, la forme est l’espace dans lequel l’Inspiration va trouver à se déployer et, d’une certaine manière, à se déposer.
L’Inspiration est un grand mystère, par quoi on retrouve le lien au sacré. L’Inspiration n’est pas d’une seule sorte. Contrariée elle se met au travail avec nous, et ce n’est pas un petit travail, on se bat sur chaque vers, sur chaque mot. Mais quelque fois la rage emporte tout, elle réussit à se caler dans la contrainte en emportant tout, en nous entraînant bien loin de ce que nous n’aurions jamais pu écrire la tête froide. – Je prends pour exemple mon poème sur la mort de Tarkos, dont je me demande toujours si c’est bien moi qui l’ai écrit...
La rage ne se confond pas avec la chance dont je parlais tout à l’heure, parce qu’elle ne va peut-être pas rencontrer quelque chose de très valable sur le plan de la confrontation être/langue. Elle va entraîner son monde dans un galop où l’on aura maintes visions, où le lecteur en aura tout son soûl (et le poète, qui n’est alors en somme que le premier lecteur). On aura tout son soûl d’images et d’arrière-plans, et de mouvement ... Mais peut-être pas cette petite image, cette petite formule qui fait que tout-à-coup le réel est là, je veux dire l’être.
Mais l’Inspiration n’exclut pas cette chance. au contraire, elle donne plus de chance à la chance, sans doute parce qu’à ce moment-là le poète n’est plus dans sans tête, il ne se voit plus, ne s’appartient plus : il se renonce, ou si tu préfères, il s’abandonne, voilà encore un sacrifice - âpre ? suave ? - en tout cas il est tout à son travail, ou il n’est plus là du tout, et c’est alors que le voile crève et qu’un bon coup de jus de réalité passe dans le poème, l’être du réel, ce que les mots par définition, ne peuvent dire – et alors ils l’ont dit.
(Extrait du dossier : Ch’Vavar aux pinces d’or, par François Huglo. Poèmes de Ch’Vavar, qui donne un long entretien à F. Huglo. In Décharge n° 133 (Mars 2007) – 6€. A commander au siège de la revue : voir l’accueil du site.)