Dans cette lecture, je me suis engagé depuis... je ne sais plus, pas mal de temps. Abandonnée puis reprise. Bien décidé certains jours à définitivement refermer le livre, y retournant malgré tout : par scrupules, soucieux de ne pas commettre une injustice vis-à-vis d’une artiste elle-même attentive aux écrits des autres, d’une poète dont la bibliographie autant que les peintres et graveurs qui l’accompagnent impressionne, surtout parce que les textes, dans le même temps que grandement ils se refusent, attirent, - comprenez-vous cela ? -, réclament l’attention. Parlera-t-on de charme ?
De ce recueil épais (150 pages), beau comme le sont à l’ordinaire les ouvrages issus des éditions Tarabuste (outre le papier de qualité, la couverture ivoire de celui-ci est relevée d’une gravure du maître de la maison : Djamel Meskache), où la poète semble faire feu de tout bois, de toute forme : prose, vers libres de diverses longueurs, haïkus même, je n’ai pas trouvé de centre de gravité : les différentes parties se juxtaposent, fermées sur elles-mêmes, chacune se référant, me semble-t-il, à des sujets différents. Chaque poème (ou chaque groupe de poèmes, ceux-ci formant souvent triptyque) développe à son tour une écriture des plus denses, chatoyante, à laquelle on ne manque de s’attacher et que la poète expose, consciente n’en doutons pas de l’énigme qu’elle développe, confiante que, malgré tout, son cri, son chant, ne sera pas vain : impossible, dit une prose des premières pages, qu’il soit inentendu.
Assez de péroraison : exposons les preuves. La prose qui suit, un exemple parmi d’autres, ouvre le chapitre intitulé Entre Eurydice :
le désir des pas un pas devant l’autre un pas dans les autres l’un après l’autre avant le désir de ne pas le désir pas d’amour ? Pas d’amour pas d’artifice pas d’artifice ? Plaisir fort d’user l’enfermement, rires ambigus explosant, dilatations des syllabes, bouffée d’air sérieuse, volets qui claquent, visages à la fenêtre, vitesse presque atteinte juste, violence d’expulser, de pousser moussu ce qui ne bouge pas, ralentir l’emportement, rassembler toute la solitude, tenter un pas pas de côté du temps ancré venu nourrir les minutes précieuses, s’extraire du temps fourré égaré dans la gueule qui empêche étouffé de crier y a quelqu’un ?
De ce poème, on retiendra que fondamentalement il illustre la recherche d’un interlocuteur, qu’il est effort vers une élucidation que quelque chose obscurément vient contrarier. Et il est notable en effet que souvent une affirmation, quelle qu’elle soit, est peu après, sinon immédiatement, contredite. Ainsi dans Oiseau bleu, le chant de la fauvette cantatrice ou de la mésange simpliste fait naître à lui seul une profusion d’images parmi lesquelles la narratrice elle-même s’égare :
Il fait briller en nous tant de mots, alouettes invisibles, frontières de jardins que nous n’avons su retenir, que nous n’avons même pas reconnus. En partage, partout, nulle part, toujours dans le souci d’habiter, de s’échapper, de rêver à, de mourir sans se perdre, de vivre ici, étreintes parmi dentelles de frondaisons, je vous regarde à travers ce que je regarde.
Il faut reconnaître, constat consolateur, que la poète est consciente de la multiplicité d’images contradictoires, de l’intensité du propos où elle entraîne son lecteur, d’un fouillis où elle-même – en m’égratignant peut-être – rêve de passer la tête. De son lecteur – sa lectrice – elle fait au fond son témoin, sa complice. Ne s’agirait-il, tout compte fait, que de Dire bonjour ?
Et vous me répondriez, je vous entends presque prononcer : bonjour.
Assez curieusement, après avoir développé longuement - autant que faire se peut, semble-t-il - ses points de vue, jusqu’à Rassembler des miettes en une dernière séquence qui semble souligner une volonté d’exhaustivité, s’impose néanmoins à l’auteure la nécessité d’un Post-scriptum qui renforce - d’un livre intitulé Par la présente, rappelons-le - le caractère d’une lettre qui nous serait personnellement adressée. À laquelle nous sommes invités de répondre.
(Il est fort possible, réflexion faite, que je vous reparle prochainement de ce Post-scriptum. )