Peinture et poésie dialoguent de longue date. Luce Guilbaud, dans Décharge 125 de Mars 2005, en trace l'historique à grands traits et rappelle que cet échange fécond et subtil s'est noué entre deux arts que leurs définitions traditionnelles opposent, - ce qu'on a tendance à oublier, tant leur rapprochement nous paraît aujourd'hui aller de soi, sans doute parce que nous restons redevables des complicités qui s'établirent entre peintres et écrivains dans le cycle des révolutions qui allaient transformer les formes et l'idée même d'artiste. L'actualité éditoriale offre l'opportunité de prolonger les propos de notre chroniqueuse.
J'ai rendu compte il y a peu (I.D n° 167 ) d'État d'Urgence, de Jean Joubert,, dont les poèmes centraux s'inspirent d'une gravure des Caprices de Goya, en une démarche qui renvoie aux Cinquante toiles (Grasset 1981), du même auteur. A découvrir dans un prochain Décharge des toiles inédites, de Jean Joubert.
D'une actualité plus fraîche encore, Café Vert Tzigane, de Jean Claude Touzeil et Matt Mahlen, (ref : I.D n° 191 ), et Rouge Rothko, de Françoise Ascal, aux démarches pourtant notablement différentes. Tandis que dans le livre Vert le peintre est associé à la démarche de création, - le poème parfois aura précédé l'œuvre picturale -, Françoise Ascal en son livre Rouge se réfère à des tableaux préexistants.
Comme Christiane Veschambre , elle entend que la culture acquise ne soit une forme de reniement de ses origines familiales, populaires. « Dans la maison de mon enfance, il n'y avait ni livres, ni tableaux », et c'est peu à peu, par l'école en particulier, que l'art est entré dans sa vie « sous formes de livres de poche mal imprimés, de cartes postales, d'images découpées dans les revues, et même de calendriers des postes ». Autant qu'aux œuvres originales, l'ouvrage rend hommage à ces images transitionnelles.
Rouge Rothko se présente donc comme un musée imaginaire de textes et poèmes, chacun d'eux étant surmonté de la reproduction, en noir et blanc, de la taille d'un timbre-poste, du tableau d'où est né l'écrit, prose ou vers. Matisse écrivait ( cette citation figure dans l'exposition actuelle des Fauves hongrois, à Dijon) que dans une nature morte, l'important n'est pas de reproduire l'objet, mais de rendre compte de l'émotion qui en émane. Ce souci est bien celui de Françoise Ascal, qui multiplie les formes évocatrices ou méditatives plus que descriptives, à qui il arrive d'apostropher le peintre (Joseph Sima) ou le personnage d'un portrait (de Federico Barocci), quand elle ne se laisse pas entrainer loin de l'œuvre représentée, par un épisode dramatique de la vie de l'artiste (Alfred Wols, au Camp des Mille).
Paradoxalement, le sommet de cette exposition est peut-être atteint dans le Bonnard perdu, où le prétexte est précisément un tableau dont l'auteur « a perdu la carte. Oublié les détails. Y avait-il un personnage ? Une femme lissant ces cheveux ? Ne me reste en mémoire qu'un flot de jeune lumière ». Et dans le cadre vide, pénètre et souffle l'actualité le plus brûlante :
Les bombes ravagent Bagdad.
Maisons calcinées. Ponts détruits. Palais effondrés. Corps mutilés.
La mort à l'œuvre. En direct.
Et toi tu cherches un Bonnard perdu au fond de ton cerveau ?
Récurrente question en effet, dont le poète qu'il m'arrive d'être et le chroniqueur de ces Itinéraires de Délestage goûtent, croyez-moi, toute la pertinente causticité.
Références : Françoise Ascal : "Rouge Rothko". Ed. Apogée . (11 rue du Noyer – 35 000 – Renne) 12€
Jean Claude Touzeil et Matt Mahlen : "Café Vert Tzigane", Ed. Gros Textes .
Luce Guilbaud : "Peinture et Poésie" in Revue Décharge n° 125.
Françoise Ascal sera, entre autres poètes invités, présente au premier festival de Bazoches (58) : "Poésie samedi, dimanche aussi". Je reviendrai sur cette manifestation. En attendant, visiter lesite ...