Pour ouvrir la collection Poésie/portrait, quel meilleur choix, en 1984, que François de Cornière !
(ouvrage de Michel Baglin , et seul titre publié de la collection. Atelier du Gué éd.)
« Mieux vaut en rire ». Sous ce bandeau, d’une légèreté désabusée, François de Cornière annonce la fin des Rencontres pour lire, que depuis trente ans il organise à partir de Caen à travers la Normandie. Le 4 et 5 décembre prochain, à la Renaissance de Mondeville, une der des ders anthologique revisitera le répertoire de trente glorieuses passées au service de la littérature, de l’humour et de la poésie. Quoique, - ce qui à la fois me frappe et ne me surprend guère – les poètes soient à peu près absents de la sélection finale, hors Pierre Autin-Grenier et Hervé Le Tellier, qui le doivent sans doute davantage à leur talent de prosateur et de nouvelliste, à l’instar des autres invités. Si bien qu’il y a peu de chance que les poètes – leurs revues, leurs blogs – fassent écho à cette cessation d’activités, quand bien même ils aient naguère considéré de Cornière comme un de leurs chefs de file, qu’ils l’aient couronné (Prix Guillaume Apollinaire, ou prix RTL / Poésie 1 ), admiré, imité (L’effet de Cornière, auquel j’avais à l’époque consacré une chronique).
Rappel, pour oublieux et jeunes curieux. François de Cornière, auteur-phare des éditions du Dé Bleu dans les années 80, est une des figures représentatives de l’écriture du quotidien, prenant en charge tout en le modulant, y faisant entendre sa petite musique personnelle, l’héritage de Georges Godeau ; mais il fut aussi un animateur hors pair, qui dès les années 70 fit feu de tout bois pour mettre la poésie à portée du plus grand nombre. Entre autres initiatives, la Corde Raide, la plus légère des revues de poésie, que pendant 5 années il expédia comme une lettre à la poste ; une collection de poche aux Éditions L.O Four, où Louis Dubost et Autin-Grenier, Christian Dorrière, Jean Rivet et Dagadès furent publiés ; les Rencontres pour lire enfin, ostensiblement tournées vers la poésie dans leurs débuts, et pour lesquelles il sut se créer un emploi : que la poésie exigeât une action permanente et professionnelle était alors, en dehors du monde de l’édition, une idée nouvelle et dérangeante.
Possible que je surestime ce moment, le parallèle avec ma propre évolution est trop évident pour qu’on se fie en toute confiance à mon appréciation ; le fait est que pendant longtemps, en ces années 80, nous fûmes François et moi les seuls à nous être libérés des préoccupations du second métier alimentaire pour servir la poésie à temps plein, et prenant tout deux le parti de l’oralité, avec l’aide de comédiens : pionniers, oui, de ces passeurs consacrés par le Printemps des Poètes dans son récent ouvrage ; réalisant par tâtonnement une aspiration de la génération suivante, de vivre non de notre art (faut pas exagéré !), du moins d’activités relevant de notre art. La chronologie de cette histoire importe.
Aujourd’hui, les poètes ne sont plus invités aux Rencontres. Leur homme-à-tout-faire ne publie plus, s’est détourné de la poésie, coupant les liens avec le milieu, se refusant par ailleurs à commenter cette mise à distance. Cependant, lorsque Jean Rivet, président de l’association qui gère ces Rencontres, doit clore l’aventure par un billet final, sa mémoire le ramène à « ces soirées où la pluie crépitait sur le toit quand on écoutait du Hardellet ou du Norge » ; à se souvenir « de ces absents qui furent invités : Guillevic, Guy Chambelland, Jean Rousselot, Claude Roy, Pierre Sansot. ». Même s’il la nie, le poète François de Cornière aura du mal à échapper à sa famille.
Les Rencontres baissent le rideau, mais François de Cornière n’empoignera pas aussitôt sa canne à pêche de retraité : « L’année 2010 sera entièrement consacrée à l’archivage de 30 ans de travail : enregistrements, photos, affiches... ». Ce souci d’organiser sa sortie rappelle irrésistiblement le soin avec lequel Louis Dubost, son ami et son éditeur, a organisé la fin de ses activités pour le 31 décembre 2009.
Repères : C’était quand : anthologie regroupant les quatre titres de François de Cornière précédemment parus chez le même éditeur. Le Dé Bleu - 1999
François de Cornière : Pour un peu. Coll. Le Farfadet bleu. Éditions de l’Idée bleue – 1999
A propos des Passeurs de poèmes (co-éditions Printemps des poètes/CNDP), lire les Ruminations de Décharge 143 : « les Hussards de la poésie ».