Pierre Autin-Grenier aimait les masques, les faux aveux, les demi-confidences. Je rappelais, dans l’I.D n° 267 , le jeu auquel il livra avec constance, au fil des parutions, sur la date de sa naissance. Mais pour le coup, point de tromperie cette fois, aucun rectificatif ne suivra, Pierre Autin-Grenier nous a quittés fissa (je crois qu’il aurait dit comme ça) ce 12 avril 2014.
Entre Pierre et nous (j’emploie à dessein ce nous et sa généreuse imprécision, chacun ainsi pourra s’y reconnaître), une longue histoire. Qui pour Décharge commence dès la 4ème livraison : la première guest-star de la revue, écrira Jacques Morin dans le si précieux numéro 100, avec son récapitulatif historique. Il réapparaîtra dans le n° 17, et sa couverture kraft frappée d’une manière de tampon : Autin-Grenier inédit, qui montre en quelle estime déjà il était tenu : y étaient proposées 11 pages des Radis bleus, dont les proses à partir du n° 40 seront distillées en guise de chroniques régulières jusqu’au n° 52, et avant de constituer un livre de 198 pages qui deviendra l’un des fleurons du Dé bleu.
Mardi 18 janvier,
Sainte Prisca
Une pie s’envole, un enfant traverse une rue cartable au dos, l’arbre perd une feuille ; le poète toujours a l’esprit en état d’alerte.
Parce que la poésie, ce n’est pas inventer ; non, c’est trouver.
Dès lors, dans la Quincaillerie Générale de la littérature actuelle où tout se fabrique à l’esbroufe, nous n’avons plus notre place. Assis seul sur un bord de trottoir, les pieds dans l’eau, le poète joue avec des boites d’allumettes vides.
Mais existe-t-il seulement une urgence de l’inutile, quand seul le pire est permis ?
(extrait de Décharge 17 – septembre 83)
A partir de Toute une vie bien ratée (1997), et la popularité acquise après les articles de Martine Laval dans Télérama et de Patrick Kechichian en une du Monde des Livres, il est indéniable que l’œuvre de Pierre Autin-Grenier, et son personnage, prennent une autre dimension : il joue désormais dans la cour des grands ; des 639 exemplaires de Je ne suis pas un héros, vendus l’année de sa parution (1993), il passe à 10 000, et dans la foulée se retrouve en Folio, - précisions qu’il m’apportait en 1999, dans Décharge 102. Je ne suis pas un écrivain, y ironise-t-il : il était devenu comme notre envoyé spécial dans le monde d’en haut, celui de la Littérature où il continua, en quelque sorte, à porter nos couleurs, et qui lui fit payer sournoisement un succès qui demeurait somme toute inadmissible en lui imprimant cette marque d’un Moins que rien, à laquelle tout article nécrologique de la presse nationale n’a pas manqué de se référer, comme l’ultime coup de pied de mule, malgré les fleurs.
Car un trait remarquable de Pierre Autin-Grenier fut la fidélité, à ses idéaux politiques, démocratiques, libertaires, autant qu’à ses amis, à ceux qui lui donnèrent sa chance, lui ouvrirent fraternellement leur revue ou leur maison d’édition (je pense en particulier à son attachement à Jean Le Mauve, à Louis Dubost, à Jean-Louis Massot qui lui porta quelques jours avant sa mort le dernier livre : une réédition de Chronique des faits). Connu, reconnu, il continua à faire le poète, terme qu’il employait le plus volontiers, de préférence à écrivain, en ce qu’il sous-entendait de désuétude (manière d’autodérision, si tu veux, me disait-il), et à envoyer ses textes à la revue, comme n’importe quel godelureau ayant à faire ses preuves. En mars 2013, Décharge 157 publiait en avant-première Le Philosophe amateur, extrait d’Analyser la situation, demeuré inédit.
Repères : Cette chronique s’appuie sur l’interview de Pierre Autin-Grenier, publié dans Décharge 102 ( 6€ - au siège de la revue, 4 rue de la boucherie – Egleny). On se reportera également aux I.D n° 266 ( à propos de C’est tous les jours comme ça – Ed. Finitudes) et 267 .
De Pierre Autin-Grenier : Chroniques des faits – Ed. Carnets du Dessert de Lune . 60 p. 12€
Jacques Morin en rend compte sur la revue Texture : http://revue-texture.fr/spip.php?article648
Du même auteur : Les Radis bleus : d’abord publiés au Dé bleu. On le trouve aujourd’hui chez Folio. Et la trilogie (Je ne suis pas un héros – Une vie bien ratée – L’éternité est inutile) à l’Arpenteur.