Chroniques des faits, de Pierre Autin-Grenier, était sorti en 1992 des presses de Jean Le Mauve, à l’enseigne des éditions de l’Arbre. Elles reparaissent aujourd’hui, grâce à Jean-Louis Massot, aux éditions des Carnets du Dessert de Lune, illustrées par Georges Rubel, et avec en frontispice un portrait de l’auteur en écrivain-à-la triste-figure, par Ronan Barrot. Ce qui fait qu’à cette heure, par le jeu des rééditions et des collections de poche, l’intégralité (me semble) des ouvrages de Pierre Autin-Grenier est disponible - privilège, quand tout produit, livre y compris, est de plus en plus rapidement frappé de péremption, et qui témoigne de l’affection qui entoure cet auteur, de l’admiration suscitée par l’œuvre.
Il est certain que de Pierre Autin-Grenier, - mort ce 12 avril 2014, faut-il le rappeler ? (voir l’I.D n° 502 ) - nous conservons l’image d’un poète grinçant, pratiquant avec verve l’autodérision, couronné (juste punition) par un Grand prix de l’Humour noir pour C’est tous les jours comme ça ( voir I.D n° 266 et 267 ). En nous ramenant à une époque désormais lointaine, où l’on choisissait comme exergue une citation de Claude Seyve, Chroniques des faits, à notre surprise, livre un ensemble de fables où l’on ne craint pas de moraliser, proches par leur étrangeté de celles d’un Pierre Bettencourt, écrites par un jeune écrivain enthousiaste et confiant dans l’action collective, où l’on décrit les hommes, un instant déroutés par les serments et paroles faciles de quelques trublions - moine, faux princes et faux prophètes -, entreprendre d’unir leurs efforts en vue de patiemment restaurer la mémoire vraie des choses (in Restaurer la mémoire), où leur patience suffit cependant à remettre en route la grande carriole rouge de l’avenir (in Patience).
N’anticipons donc pas : ne pas faire de l’auteur des Chroniques des faits un témoin de son temps : ces contes et récits, loin d’aborder le quotidien le plus banal, comme le suggère la prière d’insérer, renvoient à un monde insitué, fantasme d’un monde ancien et paysan empreint d’une hypothétique immémoriale sagesse. De fait, Autin-Grenier écrit alors des apologues, en vue d’illustrer une pensée politique, - ou des illusions assez bien partagées, dont certes il reviendra : N’entendez-vous pas quelque part, quelqu’un prolonger obstinément son cri, comme un fantastique appel à la vie ? (in Le cri). Même le poète, poète et tribun, qui paraît condamner d’abord à ne parler que pour le vent et l’idiot du village, n’est pas une figure de l’échec :
… s’emplit peu à peu la petite place d’une foule attentive et, l’idiot lui-même s’étant tu, silencieuse. Lorsqu’il prononça l’ultime mot de « liberté », alors le vent faiblit, les femmes entre elles échangèrent de regards complices que les vieux du village, d’un signe de tête, approuvèrent. Quelque chose quelque part bougeait encore quand, avec la tombée du soir, tous s’en retournèrent.
Au lever du jour, le carafon de cristal, le verre, la rose, tout était en place sur la petite table, au centre de la place : malgré le vacarme du vent, malgré les menaces de la nuit.
Cet idéalisme, dont on peut d’abord penser que Pierre Autin-Grenier, à la suite, n’a eu de cesse de se départir, comment cependant ne pas le reconnaître, assagi certes, ayant pris une plus juste mesure de l’homme, chez cet Antelme Bonnard, désenchanté et improbable secrétaire d’un parti de résistance, dans C’est tous les jours comme ça, appliqué à mettre au propre l’ensemble de ses notes et ses observations afin de faire remonter au plus tôt un rapport circonstancié aux responsables de l’Organisation ?
Repères : Pierre Autin-Grenier : Chroniques des faits –éditions Les Carnets du Dessert de Lune (67 rue de Venise – B – 1050 - Bruxelles) – 12 €.
Du même auteur : C’est tous les jours comme ça – éditions finitude (14 Cours Marc-Nouaux - 33 000 - Bordeaux) 15€. http://www.finitude.fr/index.php/livre/cest-tous-les-jours-comme-ca/
Décharge 162 ( à paraître – juin 2014) : un dossier hommage à Pierre Autin-Grenier : contributions de Casimir Prat, Louis Dubost, Colette Andriot, Jean-Louis Massot, Thomas Vinau, Georges Cathalo, Jacques Morin et Claude Vercey. 8 € le numéro. ( 4 rue de la Boucherie – 89240 – Egleny). Abonnement : voir l’onglet correspondant.