Le poète donne l’impression d’être l’homme des projets, chaque opus menant à son terme un projet différent, qui réclame nécessairement une écriture, des moyens d’expression, un partis-pris poétique différents : on pourrait aller jusqu’à dire qu’il poursuit, par d’autres moyens, un objectif que définissait ici même Ivar Ch’Vavar déclarant qu’il voulait en finir avec l’auteur, avec le « lyrisme personnel » (cf : I.D n° 523). Objectif qui retient particulièrement l’attention en ce qu’il tranche avec la tendance égocentrée dominante, dont on trouve quelques impeccables illustrations pas plus loin que dans le récent Décharge (n° 163 : De Cornière, James Sacré, Sophie G. Lucas, Pierre Anselmet ...), et que vient de mettre une nouvelle fois en valeur le prix Jean Follain attribué au livre d’Amandine Marembert : Et s’il ne parlait pas (éditions les Arêtes), tendance on ne peut plus défendable - là n’est pas la question - mais qui tend à occuper de manière hégémonique le paysage poétique présent.
Inventif, téméraire, Claude Held est de ces auteurs qui nous rappellent heureusement qu’il est d’autres voies, ne s’attardant guère du reste sur chacune d’entre elles, qu’il porte le temps d’un livre à une sorte de perfection. Lui qui était entré de manière quasi anecdotique dans Décharge, avec des poèmes en forme de poires, lesquels avaient d’ailleurs connu un beau succès, nous avait ravis en 2011 avec 64 petites proses pour accompagner Magritte, chez Propos 2 déjà (I.D n° 361), grâce auxquelles il participait à son tour à la célébration régulièrement entretenue de l’art des peintres par les poètes. Guère à voir, on l’admettra, avec les présentes Nouvelles du XXIème siècle qu’il propose, toujours chez Propos 2 éditions, où il paraît remettre au goût du jour cette poésie engagée, qu’on tient généralement sinon comme démodée, du moins comme désormais impraticable (pourtant, souvenez-vous, Croquis-Démolition, de Patricia Cottron-Daubigné, avait il n’y a pas si longtemps apporté un démenti sur ce point. - I.D n° 367)
Le titre est équivoque. Non, il ne s’agit pas d’un recueil de nouvelles, mais bien de prose nous donnant des nouvelles du siècle actuel, bien mal engagé selon toute apparence : Il pleut, il pleut à verse (…) les nouvelles tombent : déficit, inflation, récession, fonds toxiques, austérité. On s’attendait à pire. L’eau monte. L’essentiel est de ne pas ouvrir la bouche. C’est la loi du marché. La situation ainsi résumée, il s’agit à la suite d’en faire de la poésie. Tel est le défi : poète, à toi de jouer !
Claude Held ne se défile pas, y compris vis-à-vis de ce langage désincarné cher aux politiques, journalistes et experts de tout poil, langue de bois par excellence dont le poème prend le pari d’user comme matériau. Le temps de l’insurrection poétique, pour reprendre une incitation d’actualité, ne semble plus à l’ordre du jour, du moins dans sa forme convenue, attendue, de contestation véhémente, d’injonction à valeur d’ultimatum, de révolte ouverte. Au contraire, avec une souplesse qui pourrait passer pour de la complaisance, Claude Held emprunte les tours et la manière de la langue qu’il entend dénoncer , dont il joue en maître : à son modèle, la phrase est concise, pragmatique, d’un apparent bon sens, imperturbable jusque dans l’exposé des plus contestables affirmations.
Si les délires de Jean-Pierre Verheggen l’amènent du côté des Marx Brothers, Claude Held est notre Buster Keaton : admirez le flegme avec lequel il attaque ses blocs de prose, ne croirait-on pas lire ou entendre un des commentateurs patentés de l’actualité politique ou scientifique ? « Le panda géant est en voie de disparition », apprend-on dans le premier paragraphe de la page 18, tandis que le second (deux paragraphes par page, sous le même titre, c’est la règle) affirme : « La crise financière a fait naître chez la baleine bleue un besoin d’affirmation accrue ». « Supposons, est-il suggéré dans Précision légales (II), que vous disposiez dans votre arsenal un sous-marin pas trop rouillé, pourvu d’un sonar de qualité et d’un jeu complet de torpilles. » et Le but et le moyen nous apprend que : « Posséder un avion furtif est une revendication qui revient fréquemment dans les sondages portant sur l’accès des ménages aux technologies nouvelles. »
On imagine dès lors, après de telles ouvertures, vers quelles extrémités vont mener les propos de ce pince-sans-rire, avec quelle science va dérailler cette langue précisément ajustée pour anesthésier toute critique et objection. Un exemple ? Quasi au hasard, le premier paragraphe de Santé privée, santé publique :
La santé est un bien précieux. On se doit de la cultiver comme un bonsaï. Il ne faut rien laisser au hasard. A défaut de sécateur, utiliser un bistouri. Tailler ici, inciser là. Les bistouris sont en vente libre depuis peu. On peut s’en procurer un assortiment pour un prix raisonnable. Dans les moments de désœuvrement, on se rendra utile en opérant ses amis et voisins à titre préventif. Perforer est une performance qui demande un certain doigté. Ne pas oublier de prendre sa tension et celle des autres. Etre en bonne santé ne veut pas dire qu’on n’est pas malade. On est malade d’attendre. On meurt d’envie d’être dans un monde meilleur. Des pilules permettent d’atteindre le paradis. Il n’y a pas encore de pilules pour en revenir. On n’en revient pas. On n’en revient pas d’être là.
Le communiqué de presse ou la notice des recommandations posologiques porté au rang d’œuvre d’art. La poésie décidément fait feu de tout bois.