publié le 22 juin 2022 , par dans Accueil> Les I.D
Dans mon rêve, je suis président.
Quand je me réveille, je suis le mendiant du monde.
Émouvante anthologie, tant par les propos qui y sont tenus, expression ultime d’une résistance aux oppressions diverses qui accablent ces femmes tenues sous la burqa que par les circonstances qui déclenchèrent en 2012 la collecte de ces poèmes. Quelques mois plus tôt, comme la journaliste et poète américaine Eliza Griswold l’avait appris, une adolescente afghane, Muska de son nom de poète, s’était immolée par le feu après s’être fait sévèrement punir par ses frères pour avoir écrit de ces distiques désignés ici sous le nom de landays, créés par les femmes et diffusés entre elles, à la maison, à la radio ou par téléphone, comme on l’apprend par l’introduction d’Eliza Griswold, reproduite en partie dans l’ouvrage et que j’encourage chacune et chacun d’aller consulter pour en savoir davantage.
Le mieux à présent est que je donne quelques exemples de ces distiques, anonymes pour la plupart, d’origine immémoriale mais sans cesse renouvelés au gré de l’actualité – de l’occupation américaine et ses drones notamment, à l’oppression des talibans -, et que composent 22 syllabes, 9 à la première ligne et 13 à la seconde, pour ce qui est de la forme. A commencer par le landay préféré (du moins, celui qu’elle lisait souvent au téléphone) de Muska dont les carnets de notes et poèmes personnels ont été détruits par le père :
Tu m’as vendue à un vieillard, père.
Puisse Dieu détruire ta maison ; j’étais ta fille.*
Quand des sœurs sont assises ensemble, elles font l’éloge de leurs frères.
Quand des frères sont assis ensemble, ils vendent leurs sœurs à d’autres.*
Tu ne seras jamais un mollah, taliban, quoique tu fasses.
Tout en étudiant dans ton livre, tu regardes mon tatouage vert.*
Mon Nabi a été abattu par un drone.
Puisse Dieu détruire tes fils, Amérique, toi qui as assassiné le mien.*
Puisse Dieu détruire les talibans et mettre fin à leurs guerres.
Ils ont fait des femmes afghanes des veuves et des putains.
Repères : Dans la collection Po&psy, des éditions Erès ( 33 av. Marcel Dassault – 31500 Toulouse) : Landays de l’Afghanistan contemporain : je suis le mendiant du monde. 15€
Et aussi : Tatiana Daniliyants : Éclats de vie. Traduit du russe par Christine Zeytounian-Beloüs.
Symeon : Citron de silence. Traduit du grec par Marie-Cécile Fauvin.