Dès septembre 2006, dans Décharge 131, Luce Guilbaud avait réagi à sa manière, c’est-à-dire en poète, au livre de Mireille Huchon « Louise Labé, une créature de papier » (cf. I.D n°175 ) :
[...] Louise Labé porte parole des femmes à travers les siècles
serait un homme des hommes invertis travestis faussaires
habillée par un homme déshabillée par d’autres
la belle Cordière l’allumeuse la frondeuse
est-ce ainsi que les hommes vivent avec cette femme en tête
dont ils accouchent par la tête par le désir désir d’être femme ?
un petit pas à droite un petit mot à gauche je danse avec toi
Louise je te crée je t’invente je te nomme et je parle à ta place
je parle pour toi à travers toi pour ta poitrine offerte
pour tes doux yeux pour tes réveils tes appétits je parle
j’écris pour toi qui parle en moi et m’écris tu es ma créature mes rêves effrénés à grand galop de nuit
trop chaude toi c’est moi je suis femme j’existe
donne-moi des fards des dentelles des bijoux
et l’écrin de tes cuisses regarde je suis toi
je me couche et je m’offre et je ferme les yeux
dis-moi comment tu jouis je te dirai qui je suis
je suis aveugle mais je te touche sur ma peau chacun
aimerait être Tirésias Louise écoute-moi !
belle cordière je t’enlace je te touche et te lie aux barreaux
je te fouette et tu cries : « baise-moi » encore encore
tu en veux tu en auras je te prendrai même les mots
à la bouche je te prendrai je les prendraij’empêcherai ta parole je te clouerai sur la porte
je parlerai pour toi chouette savante qui en sais trop
oui je suis à ta place et j’écrirai ce que tu pourrais écrire
qui le saura femme folle sorcière je te brûlerai les ailes
et tu brûleras pour moi par moi car c’est d’amour
Louise je te donne la parole et prends parole en toi
je pompe ton jus je te presse et t’invente car sans moi
tu n’existerais pas je t’invente de mes doigts de mes lèvres
de ma langue où tu prends langue par moi par nous
tes pères tes frères tes amants tes maîtres
toi notre maîtresse folle d’amour de ce qui fait écrire
tu es notre créature comme on dit « cette créature »
mauvaise femme mauvaise vie d’ailleurs
toute femme étant à priori mauvaise c’est ainsi !
(il n’est de bonne que notre mère pas toucher)
tu crois écrire mais oui tu peux écrire on permet
mais à te lire c’est autre chose tu ne seras lue que
par notre bon vouloir oserais-tu braver l’interdit ?
ce qui te lie à nous tes hommes ? car qui te lit ?
n’écris pas nous écrirons pour toi nous connaissons
ta voix silencieuse nous connaissons tes mystères
pythonisse Cassandre tu ne seras entendue que parce que
nous le voudrons bien aussi TAIS-TOI donc
nous parlerons pour toi reste à ta place de muse
musaraigne fouineuse petit museau trop fardé [...]
Luce Guilbaud – Ode à Louise Labé – Décharge 131