publié le 15 février 2023 , par dans Accueil> Repérage
Il publie durant sa période espagnole deux recueils importants : « La voz a ti debida » (en 1933) et « Razón de amor » (en 1936) avant son exil aux États-Unis. Les éditions la tête à l’envers ont publié le premier, il y a une dizaine d’années, et le second à présent avec son traducteur attitré Bernard Sesé. Le rabat de couverture indique qu’il s’agit d’ « un des plus beaux chants d’amour du lyrisme espagnol ». Ce qui résume et synthétise l’ouvrage. « Une expérience à la fois charnelle et mystique », écrit en avant-propos le traducteur, ce qui semble juste quoiqu’un peu réducteur à mon sens. Charnel, il y est question de baisers souvent, de jouissance plus rarement, il demeure cependant une certaine pudeur ou réserve dans tout ce qui est rapprochement physique. Mystique, certes Pedro Salinas entretient avec le spirituel une relation proche, l’âme est présente en sus du corps dans bien des pièces, mais c’est l’aspect psychologique qui me paraît essentiel dans sa poésie. D’abord dans le rapport très intime, très lié, des personnes entre le je et le tu.
Mes regards te rêvaient, / tes regards me rêvaient.
Il n’est guère de poèmes où le poète ne s’adresse directement à celle dont il dresse les louanges.
Le monde est aujourd’hui comme il est aujourd’hui / Parce que toi tu le voulais, / car hier soir nous le voulûmes. (Fin du premier texte).
On sent percée ici ou là une certaine mélancolie qui indique peut-être lassitude ou résignation.
Texte 3 : Serais-tu, amour, / un long adieu qui ne s’achève pas ? … repris plus bas : …sur la grande séparation qui se prépare, / sœur de la mort ou mort elle-même… achevé ainsi : …la façon possible d’être ensemble / est un long et clair adieu. / Et que l’adieu est bien la seule certitude.
Cette séparation est évoquée plus loin dans le recueil :
À peine es-tu partie / - ou à peine es-tu morte - / que je t’attends déjà….
Le poète multiplie les interrogations et les impératifs. Les images qui emportent le poème hors du face à face permanent entre les deux êtres proviennent d’une façon presque abstraite du domaine universel, la mer et le vent, le ciel et l’oiseau…
Autre élément récurrent : le double, qui s’adapte à merveille à son écriture amoureuse :
Parce qu’un corps – tu le sais et je le sais - / ne se trouve que dans son double. Autre procédé de style, avec la même image : le paradoxe :
Si longtemps tu as été double ! / Tu aimais et tu n’aimais pas. / Tu n’étais pas pareille à ton amour / ni ton amour pareil à toi !
et plus bas : tu anéantissais toujours / ton propre oui avec ton non.
Dans la seconde partie, où une distance s’est instaurée, c’est la troisième personne qui représente l’autre, il est encore question de félicité, mais aussi de suicide. Et ce vers pour finir (texte 4, première partie : « Où est le salut ? Le sais-tu ? ») au bout du paradoxe, de l’illusion et de l’impossible : paradis sans lieu, île sans mappemonde
22 €. Ménetreuil 58330 Saint-Saulge.