La dernière note de lecture de Marie-Christine Brière ( 1941 – 2017)
La voix exigeante de celle qui s’était faite lectrice attentive de nos productions s’est tue. Nous apprenons tardivement la mort de la poète Marie-Christine Brière, à la date du 21 août 2017. Notre dernière échange restera donc inachevé.
Elle avait pris l’habitude de m’adresser ses impressions de lectrice à réception de chacune des livraisons de Décharge : j’avais cru bon de rendre publique avec son accord celle qu’elle nous avait adressée, à réception du numéro 172, et du grand compliment qu’elle nous adressait : Je félicite Décharge de faire connaître des poètes femmes … . Comme on le découvrira dans le texte qui suit, elle m’avait à propos de Décharge 173 envoyé ses impressions de lectrice par voie postale et écrites à la main : avec l’intention de le publier, j’avais retranscrit son texte sur ordinateur afin de lui soumettre : je n’étais pas tout à fait sûr de certains passages, et un mot en particulier m’est resté incompréhensible, comme on verra. Son silence, fort inhabituel, m’était incompréhensible.
D’autres, mieux informés que moi, parleront de son œuvre de poète, très liée au mouvement Poésie pour vivre, de Jean Breton. Je renvoie néanmoins à l’accueil critique que nous avions réservé à travers l’I.D n° 693 à son dernier livre, Jusqu’à ce que l’enfer gèle, dédié au souvenir de son amie poète Thérèse Plantier.
Quelle bonne cuvée !
par Marie-Christine Brière
J’en ai marre de ces mails ; je déteste ces choses froides qui de plus est me font mal partout : aux yeux, au dos etc... Je viens de recevoir le 173 et je réagis à chaud … (…) .
Quelle bonne cuvée !! Après le 172 et des femmes poètes, un 173 surprenant, épatant dès l’ouverture. Le texte de James Sacré a la fraîcheur et l’audace d’une confidence publique … et voilà pourquoi il y a des ânes dans mes poèmes … Ça fait du bien qu’un poète non pas divulgue mais confie sa démarche, les virages, les hésitations : ramasser une coquille luisante, jeter un regard sur une feuille.
*
Et plouf ! Une fenêtre s’ouvre avec rideau qui bat, voilà un poème neuf, simple apparence. J. F Mathé, pas de cri mais vie intérieure, le silence retient la face de vivre demandée par l’instant. Mais … est-ce possible ? En voilà un deuxième de quatre strophes murmurantes, octosyllabes musicaux [ illisible] certes – heurtés de gestes, petits remords, mots déplacés pour servir l’extraordinaire de riens … les coups sont pour les pleurs ! La poésie est à tout le monde (Cadou), mais tout le monde est, d’un coup, raffiné : ici on pose la revue, qui est ce poète ? Et on se remet à lire, et ça continue, un jardinier fait un numéro de clown avec l’arrosoir, on prend tout, on s’arrose la mémoire comme il suggère.
C’est pas fini !! Le quatrième, très jarrozien, ouvre sur le brouillard ( et la légèreté des poèmes qui le précèdent) ) l’énigme d’être soi se manifeste … il y a la nappe, le pain, le vin – or, pas un seul cliché, tout est neuf. Alors, fou d’espoir, on va sur le cinquième : tout bon ! On frotte ses yeux et suit la lampe qui rend présents la Nuit et le Temps. Sublime ! Poème six, finesse et pensées, retour à ces offrandes (seul le mot vérité me pèse un peu).
La mise en page des poèmes, les arrêts de strophe, la respiration du lecteur, de la lectrice, suivent et même ont lieu au même instant (que le poème) entre deux pluies, ente deux gestes, on s’adapte discrètement.
J’ai retrouvé dans mes archives papier une présentation de J.F Mathé faite par lui-même (Décharge 158 – 2013 ) : « Pour que nous frôle la beauté de vivre », avec une photographie : on retrouve le même charme. Par contre, les amuse-bouches ne m’emballent pas – comme une insistance, un appui du doigt sur la trouvaille (sauf la dernière : Torticolis).
Un poète merveilleux, une découverte pour moi aussi forte que Delfine Guy (et que Bruno Berchoud) :
dans vivre il y a toujours
de la douleur pour tous
*
Continuons. Bruno Sourdin est un poète, c’est sûr. Mais sur ma route et en ce moment, je supporte mal, j’apprécie moins ces points d’interrogation et surtout ces anaphores ruinés par nos Hommes Politiques et Journalistes. A retrouver.
Troisième miracle du 173 : Bruno Berchoud (un inconnu pour moi) et ces Dits des rides. Des images en objets, en dialogues, tenus sur un collier à deux fils : 2 vers-lignes , 3 ou 4, ou 7. Je me dis : « aïe, le poème-en-prose ... ». Or, l’intime se mêle au temps de vie qui est aussi le nôtre. Un humour fou amorti par les paroles insérées savamment (article enlevé, pronom manquant mais pas systématique … ) colore un vrai plaisir de lire. Noblesse du vieux temps, tendresse mise en scène : veut gagner dix secondes et le trottoir d’en face ( zeugma ? ) Parfois toute une scène dans un glissement : Gary Cooper, ou le 1er voyage à la mer (et peut-être l’unique ?). Si usés sont les thèmes, ils répondent ici aussi tout neufs, mais différemment de l’univers Mathé, - dans le relief de cette langue qui cherche au plus près, avec naturel. Parfois disparu, le pronom personnel – elle – gagne un ton familier, élégant à son retour, les paroles insérées ravivent tout. Un poète vraiment.
Merci pour tout et bravo !
Repères : La lettre de Marie-Christine Brière date du 10 avril 2017
« Une revue toujours au sommet » (A. L)
Les revues seraient-elles destinées à être relues ? On aimerait s’en persuader, sous l’influence du titre qu’Alain Lacouchie donne à la rubrique Revues et relues qu’il tient dans Friches. Où, à l’occasion de la 124ème livraison, il se penche sur Décharge 173 et en fait la recension.
Alain Lacouchie :
Georges Cathalo avec Phare dans la nuit s’attarde sur les éditions Po&Psy et James Sacré, qui signe un article intitulé Le Motif dans mes livres de poèmes, libèrent la revue. Jean-François Mathé donne à lire ses poèmes : Passages entre chien et loup. A suivre, les textes de Bruno Sourdin et la prose poétique de Bruno Brechoud, Plus loin encore, François de Cornière : Ça tient à quoi ?, dix pages de poèmes. La peinture étant un art germain, Patrick le Divenah en profite pour montrer les fesses de Courbet (les fesses de ses nus, bien sûr !). Poésie internationale ensuite, avec deux poètes italiens : Adèle Desideri et Giancarlo Sissa, et un poète guatémaltèque, Julio C. Palencia, présenté par Laurent Bouisset : Julio César Palencia est un écrivain avant tout, un orfèvre du vers tranché qui sait comment concentrer l’émotion en quelques mots décisifs ... Des poèmes encore, ceux de Gabriel Zimmermann qui précèdent Les Ruminations de Claude Vercey. Louis Dubost, pour sa part, signe Petite courtoisie pour demain où il nous fait entendre le frottement de la poésie avec la mathématique - comme si elles étaient de la même famille ! Plus de vingt pages de notes de lecture avant Le Choix de Décharge qui met quinze poètes en exergue.
Une revue toujours au sommet, bien sûr.
Repères : Friches 124 (Le Gravier du Glandon – 87500 – Saint-Yriex) : Abonnement : 3 numéros/ l’an : 35€.
« S’adapter aux évolutions sans perdre son âme »
Georges Cathalo est assurément l’un des meilleurs connaisseurs de l’histoire de Décharge. Il l’a prouvé par ailleurs, en apportant son témoignage au cours de l’émission radiophonique Spécial Décharge, organisée par Christophe Jubien sur La route inconnue, du 6 Mars 2017.
Sur le site Revue-Texture, dont il est l’un des principaux collaborateurs, Georges Cathalo rend compte de la 173ème livraison de notre revue :
Georges Cathalo :
Et c’est reparti pour un 36e tour de piste pour l’une des doyennes des revues de poésie qui a su au fil des ans s’adapter aux évolutions de la poésie actuelle sans perdre son âme en complétant par exemple la « revue-papier » par une « revue-écran » riche et vivante. L’équipe éditoriale vient de réussir le « mercato de la poésie » avec le transfert amical de deux nouveaux chroniqueurs : Antoine Emaz et James Sacré.
Dans cette nouvelle livraison, on signalera tout d’abord les dix poèmes de Jean-François Mathé qui confirment ce que l’on savait déjà, à savoir que ce poète est l’un des poètes majeurs de sa génération, poète qui a creusé son sillon pour demeurer fidèle à une poésie charpentée. Idem pour d’autres auteurs ici présents comme le trop rare François de Cornière, le fidèle errant qu’est Bruno Sourdin ou l’impeccable Bruno Berchoud. D’autre part, Décharge ouvre largement ses portes à la poésie étrangère avec deux poètes italiens, Adèle Desideri et Giancarlo Sissa ainsi qu’au poète guatémaltèque Julio Palencia. Quant à Claude Vercey, il poursuit sa patiente exploration des sous-bois, taillis et bosquets de la poésie avec ses célèbres Ruminations. En fin de numéro, comme à l’accoutumée, le Choix de Décharge propose les écrits de 15 auteurs peu lus. Enfin, on ne saurait passer sous silence les magnifiques illustrations de Pierre Richir, riches en formes et en couleurs.
Repères :Ce texte est à retrouver ici, sur le site Texture animé par Michel Baglin, parmi l’ensemble des lectures flashs 2017 de Georges Cathalo. :
Bruno Sourdin, enfin
Une lettre d’Alain Brissiaud, à propos du numéro de Mars 2017 : Bruno Sourdin, et rien d’autre, c’est ce qui est retenu de ce Décharge 173. Lecture réductrice assurément, mais enthousiaste. Qui vaut bien une citation, sans doute. Que voici :
Bruno Sourdin, l’Ange Noir du juke-box
par Alain Brissiaud
Enfin des nouvelles de Bruno Sourdin ! « L’air de la route » (2013) chez Gros Textes et depuis rien : ce fut long. Sept poèmes d’un coup dans le dernier numéro de Décharge : le 173, - dont un, écrit en lien avec le souvenir aigu de son pote Alain Jégou. Le lien, le réseau, les amis, tous unis autour du « grand frère » Claude Pélieu. Et là, le revolver de l’âme ne s’est pas enrayé : les mots brûlent encore de ce côté-ci du ciel même si l’ordre brun se fait de plus en plus menaçant. La révolte est toujours au cœur des mots : En joue ! La poésie de Bruno est ce claquement de fouet couvrant le vieux fond de la poésie ronronnante. Un grand bol de chiendent pour distraire nos soirées franchouillardes.
Non, la parole de la route n’est pas éteinte. Avec Bruno Sourdin, le chemin de la fraternité n’est pas désert. Il est plein de coups de vent violent dans nos barbes hirsutes et blanches.
Donner à lire la parole de Bruno, c’est donner de la grâce et de l’espace car cette parole ne vit que debout comme un bel arbre argenté, fiché dans la boue et tendu droit vers le ciel, couvrant de ses branches tous nos renoncements. Sa parole est ivre de sa jeunesse et vogue comme un rafiot rescapé des entrailles de la mer. Elle est vive et belle. Merci Décharge.
Revuistes, continuez !
Souvent, ses poèmes et ses chroniques sont signés M©Dem. On les croise dans nombre de revues. Ainsi font beaucoup de poètes. Moins couramment exprimé en revanche, le sentiment de gratitude à l’égard de ces publications hospitalières, tel qu’on le rencontre ici, dans l’envoi de Murielle Compère-Demarcy adressé Aux revuistes dont les poèmes oublient souvent de parler. Un élément supplémentaire de réflexion, quant à la question de l’utilité des revues, initiée par Jacmo en réponse à Jean-Jacques Nuel (Repérage du 1er juin 2016), et qui avait déjà suscité quelques réactions de la part de nos lecteurs (de Bernard Bretonnière et Michel Lamart, en particulier).
Poème ouvert à …
de Murielle Compère-Demarcy
Ma nuit fait des virages
à quelques cm au-dessus
de la descente du lit
Prise en flagrant délit
d’insomnie impromptue
par la chouette de la nuit
– signe, présage de sagesse ? -
je passe en revue
fanzines
poésies vives
webmagazines
revuistes
en la matière après un Vrouz !
passé chez Valérie Rouzeau
avec hommage à Jean-Mi et son hibou
juché au-dessus de la tête
dans son château à roulettes
– tenue haute insolente,
on en prend pour son âme -
tandis que Jacmo
commet son micro-micro
exploit de revuiste
au bureau de Poste de Toucy
un nouveau n° entre en piste
on demande le 1170
On demande
des numéros à l’Infini
Alain Wexler recto Verso Lyon-Paris
Maltaverne dit Malta’ pour un Paris-Metz
aller-retour léger
sans crème indigeste
Malta’ loin de ceux qui se prennent au sérieux
aller-retour carburé
à l’acide naturel poétique
tiré par des haleurs de soleils
libres
atypiques
plus ardents qu’un diesel
plus frayants qu’un réel
effrayant de rigueur insoluble
attelé vent debout soluble
aux Traction-Brabant
de notre globe-trade-writing
Poésie !
On demande Comme en Poésie
pour le garage à poèmes
Poésie revue Anonyme
– la mienne en vue, hi ! -
avec des idées bleues
avec des idées noires d’ailleurs
et d’autres dures aussi
du rire salé de sarcasmes
qui dure, qui dure
et résiste
même au savon noir de Marseille
On demande
sinon au Cabaret
la Poésie sur Seine
On en demande encore, on en oublie
– tirez la chevillette, la bobinette cherra ! -
On en demande encore, on en oublie
– sic ! -
des remuements de tripes
des vers
dans le décor
des revuistes, des vrais
avec de Gros Textes
perfusés aux Microbes
de la santé poétique tic-
tram-rail
transe et danse et tournez transis
On demande un Verso
en apéro
pas un brûlot mais un Phare
dans la nuit une chronique
Vercey, Cathalo
On demande du texte, du vrai
dans le Festival Permanent des Mots,
FPM, la chair et du corps
témoins à Décharge
des intermittences du spectacle, du vrai,
performances, happenings, #Melting Poètes
poètes lecteurs déchargeant des jets de poèmes
pleins feux diadèmes givre bleu rivière au cœur du soleil
On demande au comptoir du WebInfo
toute l’actualité éditoriale prescrite
inédite, Poezibao
on demande Le Capital des Mots
Lumière sur Poésie / Première
De Nouveaux Délits
au bistrot ès express de la vie
café lait crème sirop
la Poésie vive, bingo !
Revuistes, éditeurs poètes rêvalistes
ce poème est à l’au-revoir de vos textes
à textes, vos coups de cœur papier
vos lignes connectées
vos éditos, vos dossiers
Je tire
l’un de vos textes à la courte paille
dégusté au soleil
plus souvent qu’un printemps des poètes
je muse et m’amuse
à ôter maille par maille
le tricot de cette petite laine
dont vous couvrez mes hivers d’astres chauds
l’herbe folle des mots
de mes champs ivres d’avoine
et j’étire le lin pour me faire un textile
de vos grain(e)s de papier
m’ajuster un chandail
au format big poème
plus qu’extra à ma taille
Les pousses jeunes et sucrées
de vos tendres expertes revues
aux feuilles de vélin lisses blanches recyclées en bataille
plaisent à toutes les bêtes
bestioles
enfouies sous mon crâne
et de celles qui viennent manger dans ma paume
saliver de trouver graminées
poacées de poèmes
bêtes nourries des nécessaires immédiats nutriments des choses
poètes du nom accordé
par vos soins au juste parti pris libéré des choses
au cœur de la vie, des épines et des roses
Revuistes, continuez !
(M©Dem - 30/03/2017)
Repères : Précisons que Jean-Mi est le diminutif affectueux de Jean-Michel Robert, auteur entre autres titres du Château à roulettes, et disparu il y a juste un an ( 1956 - 2016)
A lire également sur notre site : Merci aux revues d’exister, de Michel Lamart ; et Eloge de la revue, de Bernard Bretonnière.
Sur le blog de Patrice Maltaverne
En lien : Décharge 173
Minutieuse, et rapide (mise en ligne le lendemain seulement de l’arrivée de l’objet dans les boites à lettres), la recension de Décharge 173 par Patrice Maltaverne sur son blog C’est vous parce que c’est bien. Il faut croire que le numéro a particulièrement plu à ce lecteur puisqu’au lieu de citer un poème comme il le fait d’ordinaire, c’est deux poèmes qu’il présente : J’habite les ciments de la ville, du poète guatémaltèque Julio C. Palencia, traduit par Laurent Bouisset ; et Une meurtrière pour l’éternité, de Bruno Sourdin, en hommage au poète et marin Alain Jegou.