La revue de Guy Ferdinande,
à deux doigts de son numéro 100
« Untel est mort, nous dit-on, ah oui untel, tiens il est mort ». La vie humaine n’a aucune importance, ça vit, ça meurt, on s’en fout. »
Jean-Pierre Georges – Le moi chronique -
(Retrouvé en relisant Décharge 110)
A l’instar de Denise Maumus-Destin (voir l’I.D précédent – n° 416 ), Michel Pierre avait lui aussi disparu. Il avait naguère marqué de sa présence nos publications, aussi bien Décharge que Polder où il fut publié par deux fois, avant lui-même de présenter le polder de Patrice Maltaverne : Sans mariage. Entre nous deux, des relations amicales s’étaient nouées pendant la Semaine de la poésie de Clermont-Ferrand dont nous étions l’un et l’autre des invités, et s’étaient prolongées au-delà, au point qu’il s’était déplacé, accompagné de sa femme, jusqu’à la Charité-sur-Loire, assister à une présentation de Jour de fête. Le silence dans lequel il se tenait, croyait-on, était d’autant plus inexplicable.
Michel Pierre connut une relative notoriété, suffisante pour que Cécile Odartchenko s’intéresse à son œuvre, au point de souhaiter lui consacrer un volume de sa collection Poésie Présente : Pierre Tréfois s’attela à la tache, avant que le projet soit abandonné. Et c’est par Pierre Tréfois, qui prépare depuis lors, en collaboration avec Jean-Louis Rambour, un numéro Michel Pierre pour la revue Chiendents, que j’appris la date du décès de notre disparu : février 2011.
Par coïncidence, on retrouve un long inédit de Michel Pierre, Structure des vides, en ouverture de l’Hibou dans la Lune, récent avatar de la revue de Guy Ferdinande, mieux connue sous l’appellation de L’Igloo dans la Dune, lieu des plus hospitaliers aux écrits du poète qui aura construit un monde de l’absurde à proportion de l’absurdité du monde : quatre ensembles y ont en effet été publiés de 2002 à 2006.
Je me suis replongé de ce fait dans le second polder de Michel Pierre L’ivraie à domicile présenté par Yves Artufel dans Décharge 110 : les antichroniques qui le composent sont trop longues pour que même une seule soit reproduite ici. J’ai choisi de faire entendre cette manière inimitable de s’exprimer, de subvertir l’ampoulé du style administratif pour atteindre ce ton cathédrale et semi-abstrait dont parle Jacques Morin, à travers quelques incipits, qui donnent une assez juste idée du style raisonneur et déliquescent, développé, avec quels délices, par Michel Pierre :
Rien ne m’exalte autant que d’imaginer vingt-cinq boulangeries ouvertes dans une même rue, celle-ci courte afin de comprimer mon raisonnement qui s’apprête à fuir par les deux bouts ou par quelque ruelle subsidiaire [...]
(Nourriture terrestre)
Même le voisin, creux en apparence, a du talent. Parait-il. C’est dire la démocratisation des exercices de poésie chez les hobereaux du nouveau monde [...] (Déliquescence poétique) .
Au commencement était la bêtise. Dieu y souffla à pleins poumons pour créer le bigbang, jeu mondialement connu, sans les tambours ni les trompettes qui sont l’apparat des fourmis des hommes, eux-mêmes légataires d’une émotion périphérique. [...] (Genèse)
Quelle thérapeutique peut soigner la manie du rire, administrer aux êtres convulsifs une sirupeuse façon de se tenir droit à table ou ailleurs, grâce à cette cambrure rigide qui conserve les idées d’albâtre dans le sillage de la mélancolie ? [...]
Ah ! son sens de l’aphorisme !, commentait dans sa préface Yves Artufel.
Repères : Deux polders pour Michel Pierre : Un éternel, des étourneaux (n° 87, en 1996) et L’ivraie à domicile (n° 110 en 2001).
Du même auteur, un inédit : Structures des vides, dans le n° 98 de l’Igloo dans la dune (Dan & Guy Ferdinande - 67 rue de l’église – 59840 – Lompret) sur la thématique : la bêtise (Es-tu idiot, interroge par exemple Philippe Jaffeux). Interventions graphiques de Rumour. Forte revue de presse, qui met les revues particulièrement en avant (pour Décharge, des n° 151 à 154). Notes de lecture pour quatre polders récents (voir l’onglet Petites coupures) .
La collection Présence de la poésie, aux Éditions des Vanneaux , vient de s’enrichir d’un Ariane Dreyfus , vu par Matthieu Gosztola. Précédemment, Max Alhau par Pierre Dhainaut (voir l’article de Michel Baglin dans Texture ), Marc Alyn par André Ughetto, Pierre Garnier par Cécile Odartchenko.