Assurément, si j’avais eu plus tôt connaissance de ce poème, aussi long que son long titre : Il pleut ou il fait beau tout le temps au début, augmenté pour le plaisir du sous-titre (le pôle qu’elle nie), écrit en vers arithmonymes, c’est-à dire en vers réguliers composés de onze mots, il aurait figuré dans la dernière livraison de Décharge 158 ( de juin 2013), où je pointe l’intérêt renouvelé des poètes pour les formes fixes, anciennes ou nouvelles. Stéphane Batsal m’aurait apporté un éclairant exemple supplémentaire :
Dehors brume enveloppe le sommet des gratte-ciels,
c’est la nuit
palmiers en berne, militaires en carton plat juste avant la
pluie.
Un papier s’envole, je le poursuis discrètement,
confondant aux murs
ma silhouette en gabardine mastic, vers des marigots
où sommeillent alligators,
gros crocos sans paupières, le papier se colle sur terre
gorgée,
un grain le chasse derrière la végétation basse et une
gueule
horrible en mare l’absorbe, croc ! ça ne mâche même
pas !
Je pense à ma main : bras m’était sorti de poche
pour attraper. Où est ma pince sans mitaine je me dis,
je ne vois qu’un tour dépenaillé, un trou sombre frangé
en bout de manche usée de mon vieil imper peu
étanche,
cercle noir où festons juste éveillés hors du lit
s’épanchent.
A peine le temps de les voir apparaître que doigts
enfouissent
leur apparence en poche et l’inconnu passe en mode
invisible.
Ce poème, - n’est-ce roman en vers plutôt, qu’il faudrait écrire ? - reste pour l’heure inédit. Quant à l’auteur, autant que son texte, il échappe aux catégories préétablies, s’y efforce, essayant selon ses dires de ne pas devenir poète et après avoir essayé de ne pas devenir plasticien et puis ne pas devenir vidéaste. On mesurera le degré de ses réussites en ces diverses tentatives de fuite en consultant son blog .
Il m’apparaît cependant, pour volontairement m’en tenir au domaine qui ici nous intéresse, que le présente tentative de Stéphane Batsal, cette narration en vers mesurés et à mots comptés, s’inscrit dans le champ le plus éruptif de la poésie actuelle, dans la proximité avouée d’Ivar Ch’Vavar et de Charles Pennequin, - champ où il faisait une première fois irruption en 1994, Pas très loin de chez vous non plus (Polder n° 77), avant de prendre ses distances. Perdu de vue, écrit Jacmo pour tout commentaire, quand il s’agira, quelque années plus tard, de présenter ce météore dans l’anthologie récapitulative Polder 2ème génération. Me reporter à l’opuscule de l’époque (dessin de couverture : Thomas Foucher) ou à son préfacier et ami : Patrick Le Guen, - qui avoue ne sortir que pour la circonstance de son domaine de prédilection : l’astrologie (!), - n’offre pas davantage de prises. C’est bien le texte lui-même, entre la vie et l’âme, qui fournit encore le plus d’indications sur Stéphane Batsal et sa démarche d’alors :
Travaillant
A éveiller
Ma primitivité pour atteindre La
Au cachot
Avec mon fouet
Les mains à travers les déchirures
Illuminantes
Et toutes ces décisions hantées
Avant d’abandonner sans cesse
L’étrange choix
Comme collé aux pattes de l’araignée
(Arrastre - *en espagnol, note de l’auteur
– poème final de Pas très loin de chez vous non plus
de Stéphane Batsal – polder n° 77)
Repères : Stéphane Batsal sera au sommaire de Décharge 159 (à paraître en septembre 2013), où seront publiés des extraits significatifs de Il pleut ou il fait beau tout le temps au début.
Blog de Stéphane Batsal : http://batsal.blogs.com/st_batsal_ebook/
Décharge 158 : les Ruminations de Claude Vercey : Pour la forme (sur le retour des formes fixes). Contributions de Guillaume Decourt, Yannick Torlini, Jacques Morin, Ivar Ch’Vavar. Le n° : 6 €. Voir aussi l’onglet abonnement .