La voix exigeante de celle qui s’était faite lectrice attentive de nos productions s’est tue. Nous apprenons tardivement la mort de la poète Marie-Christine Brière, à la date du 21 août 2017. Notre dernière échange restera donc inachevé.
Elle avait pris l’habitude de m’adresser ses impressions de lectrice à réception de chacune des livraisons de Décharge : j’avais cru bon de rendre publique avec son accord celle qu’elle nous avait adressée, à réception du numéro 172, et du grand compliment qu’elle nous adressait : Je félicite Décharge de faire connaître des poètes femmes … . Comme on le découvrira dans le texte qui suit, elle m’avait à propos de Décharge 173 envoyé ses impressions de lectrice par voie postale et écrites à la main : avec l’intention de le publier, j’avais retranscrit son texte sur ordinateur afin de lui soumettre : je n’étais pas tout à fait sûr de certains passages, et un mot en particulier m’est resté incompréhensible, comme on verra. Son silence, fort inhabituel, m’était incompréhensible.
D’autres, mieux informés que moi, parleront de son œuvre de poète, très liée au mouvement Poésie pour vivre, de Jean Breton. Je renvoie néanmoins à l’accueil critique que nous avions réservé à travers l’I.D n° 693 à son dernier livre, Jusqu’à ce que l’enfer gèle, dédié au souvenir de son amie poète Thérèse Plantier.
Quelle bonne cuvée !
par Marie Christine Brière
J’en ai marre de ces mails ; je DÉTESTE ces choses froides qui de plus est me font mal partout : aux yeux, au dos etc... Je viens de recevoir le 173 et je réagis à chaud … Voyant mes notes, je me suis dit que c’était impossible pour moi d les envoyer en mails. Alors les voici, sur beau papier en plus .
Quelle bonne cuvée !! Après le 172 et des femmes poètes, un 173 surprenant, épatant dès l’ouverture. Le texte de James Sacré a la fraîcheur et l’audace d’une confidence publique … et voilà pourquoi il y a des ânes dans mes poèmes … Ça fait du bien qu’un poète non pas divulgue mais confie sa démarche, les virages, les hésitations : ramasser une coquille luisante, jeter un regard sur une feuille.
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Et plouf ! Une fenêtre s’ouvre avec rideau qui bat, voilà un poème neuf, simple apparence. J. F Mathé, pas de cri mais vie intérieure, le silence retient la face de vivre demandée par l’instant. Mais … est-ce possible ? En voilà un deuxième de quatre strophes murmurantes, octosyllabes musicaux [ illisible] certes – heurtés de gestes, petits remords, mots déplacés pour servir l’extraordinaire de riens … les coups sont pour les pleurs ! La poésie est à tout le monde (Cadou), mais tout le monde est, d’un coup, raffiné : ici on pose la revue, qui est ce poète ? Et on se remet à lire, et ça continue, un jardinier fait un numéro de clown avec l’arrosoir, on prend tout, on s’arrose la mémoire comme il suggère.
C’est pas fini !! Le quatrième, très jarrozien, ouvre sur le brouillard (et la légèreté des poèmes qui le précèdent) ) l’énigme d’être soi se manifeste … il y a la nappe, le pain, le vin – or, pas un seul cliché, tout est neuf. Alors, fou d’espoir, on va sur le cinquième : tout bon ! On frotte ses yeux et suit la lampe qui rend présents la Nuit et le Temps. Sublime ! Poème six, finesse et pensées, retour à ces offrandes (seul le mot vérité me pèse un peu).
La mise en page des poèmes, les arrêts de strophe, la respiration du lecteur, de la lectrice, suivent et même ont lieu au même instant (que le poème) entre deux pluies, entre deux gestes, on s’adapte discrètement.
J’ai retrouvé dans mes archives papier une présentation de J.F Mathé faite par lui-même (Décharge 158 – 2013 ) : « Pour que nous frôle la beauté de vivre », avec une photographie : on retrouve le même charme. Par contre, les amuse-bouches ne m’emballent pas – comme une insistance, un appui du doigt sur la trouvaille (sauf la dernière : Torticolis).
Un poète merveilleux, une découverte pour moi aussi forte que Delfine Guy (et que Bruno Berchoud) :
dans vivre il y a toujours
de la chaleur pour tous [1]
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Continuons. Bruno Sourdin est un poète, c’est sûr. Mais sur ma route et en ce moment, je supporte mal, j’apprécie moins ces points d’interrogation et surtout ces anaphores ruinés par nos Hommes Politiques et Journalistes. A retrouver.
Troisième miracle du 173 : Bruno Berchoud (un inconnu pour moi) et ces Dits des rides. Des images en objets, en dialogues, tenus sur un collier à deux fils : 2 vers-lignes , 3 ou 4, ou 7. Je me dis : « aïe, le poème-en-prose ... ». Or, l’intime se mêle au temps de vie qui est aussi le nôtre. Un humour fou amorti par les paroles insérées savamment (article enlevé, pronom manquant mais pas systématique … ) colore un vrai plaisir de lire. Noblesse du vieux temps, tendresse mise en scène : veut gagner dix secondes et le trottoir d’en face (zeugma ?) Parfois toute une scène dans un glissement : Gary Cooper, ou le 1er voyage à la mer (et peut-être l’unique ?). Si usés sont les thèmes, ils répondent ici aussi tout neufs, mais différemment de l’univers Mathé, - dans le relief de cette langue qui cherche au plus près, avec naturel. Parfois disparu, le pronom personnel – elle – gagne un ton familier, élégant à son retour, les paroles insérées ravivent tout. Un poète vraiment.
Merci pour tout et bravo ! Amicalement,