Couverture : Louise Moaty.
Préface : Isabelle Baladine Howald. Extrait :
A la métamorphose est un tremblement de flamme porté haut, une déclaration qui porte en elle son paradoxe de force et d’inquiétude. A la lecture je l’ai pris comme une rafale de vent qui m’a laissée saisie sur place.
En savoir plus : Lire : Voix nouvelle, Louise Moaty en Repérage du 25 juin 2020.
Une parole sauvage qui dit ce que l’on veut taire
Philippe Milbergue nous gâte : il ne lui a pas suffi de porter une appréciation sur le livre, paru cet automne dans la collection Polder (n° 188) : A la métamorphose, de Louise Moaty, il offre en préambule sur le site des Morfals, avec lequel nous profitons de l’occasion pour faire connaissance, un tour d’horizon, assez complet ma foi, de nos activités.
Un morfal, par définition, ne manque pas d’appétit : il mord la vie à pleines dents, s’empiffre de pâtes et de livres : de cuisine, de poésie et de musique, d’arts - vivants ou plastiques -, cultive l’amitié sans modération, s’ouvre et se découvre, partage ou donne, en un mot : est à l’écoute de l’autre, des envies et des besoins. Je paraphrase ici les intentions déclarées dans l’édito de la page d’accueil, mais je vous conseille, pour en recueillir une parole plus authentique, d’y aller voir par vous-même : https://lesmorfals.org/
On y lira l’intégralité du long article de Philippe Milbergue, dont je publie quelques passages, et on y découvrira d’autres chroniques proposées par ces Morfals, à propos de Jacques Izoard par exemple, ou du récent prix Nobel Louise Glück ou de la revue numérique Gustave.
La parole à Philippe Milbergue
(extraits)
Avant de vous parler de Louise Moaty, j’aimerais vous parler de la collection Polder [1], qui depuis plus de quarante ans maintenant travaille à l’émergence de nouvelles voix poétiques.
Quarante ans, le bel âge. [...] Depuis les premiers volumes, qui publièrent notamment Hervé Lesage, Alex Millon, Jean-Pierre Lesieur (une autre légende !), Éric Tremellat, Jean-Louis Rambour et autres Christophe Jubien (je les nomme, je les apprécie mais ma liste est loin d’être close) jusqu’aux dernières occurrences où nous découvrons de nouvelles joueuses comme Milène Tournier, Gaëlle Boulle, Chloé Landriot, Christine Zhiri et Marie-Laure Le Berre ou Orianne Papin (voir la Chronique consacrée à Gustave ), ils et elles ont tous et toutes apporté leurs différences. L’éclectisme a été, est toujours la règle.
La collection Polder poursuit son périple en Terra Incognita, à la recherche de nouvelles voies, de détroits, d’estuaires, de ports d’attache ou de grands larges. Une constance partagée avec la revue Décharge. Parfois dans la tourmente, en butte aux bourrasques économiques, aux frais postaux qui sont la honte de notre pays. […] Quarante ans de premières œuvres ou quasi, de chances données à des écritures qui se seraient peut-être arrêtées sans cet imprimatur. Pas de chapelle, pas d’école, pas de courants. Et l’impartialité des choix garantie par l’unanimité des votes. Quatre lecteurs que je me dois de remercier et qui façonnent, depuis les années ’80, une partie de mon paysage poétique : Jacques Morin, alias Jacmo, Alain Kewes, Yves Artufel et Claude Vercey. Tous les quatre sont éditeurs, tous les quatre sont poètes, ceci, sans doute, explique cela.
Pour découvrir la diversité des propositions, trois anthologies ont été publiées sous les titres de Génération Polder, Polder deuxième génération, Génération Polder tome 3.
Et puis, ce Polder n° 188, clôturant ce premier cycle de quarante ans, entamant la quatrième génération avec la voix d’une nouvelle poétesse, Louise Moaty.
La préface, signée par Isabelle Baladine Howald, ouvre le livre par ces mots :
« À la métamorphose est un tremblement de flamme porté haut, une déclaration qui porte en elle son paradoxe de force et d’inquiétude. À la lecture je l’ai pris comme une rafale de vent qui m’a laissé saisie sur place.
Il y a la puissance de l’écriture de Louise Moaty, comme une frappe quand on la lit, on commence avec le monde solide, le sol rugueux sur lequel nous marchons, qui est parfois secoué dans le tréfonds de magma. »
Elle poursuit en filant la métaphore des éléments changeants, l’eau et le feu, la glaise et l’anima, l’oiselle du jour et de la nuit, les flux et reflux de la violence et de la douceur.
On ne dira jamais assez l’importance d’une bonne préface. Elle ouvre l’appétit, aiguise le désir. Grâce à elle, on aborde le texte autrement et ma première lecture était portée par le souffle de la lecture d’Isabelle Baladine Howald, par les références implicites à Ovide, pas celui des Métamorphoses, non, justement, ce serait trop facile, mais celui de l’Art d’aimer.
Ce recueil est d’abord une déclaration d’amour, de cet amour qui nous métamorphose littéralement et nous transforme en singe, en oiselle, en peau de pierre. C’est un cri, une adresse, un souvenir, un futur. Une plainte. Une envie.
[...]
Des proses de Révolutions ouvrent puis rythment le recueil. Ces textes prêtent aux objets, aux éléments, des volontés propres, des sentiments, comme au temps du Chaos. Comme s’il fallait détruire le monde pour qu’il puisse se recomposer. Le magma et la fusion. L’ouverture des corps écorchés, pour voir l’intérieur des âmes, des viscères, des os, de ce qui ne peut pas mentir, de ce qui se tait, de ce qui se voit.
Une seule phrase, vive, qui cascade de poème en poème, une phrase à l’encontre de toutes écritures modernes où le sujet précède le verbe, le complément et le point d’arrêt. Une Phrase qui chavire et chaloupe, quitte le lit des rivières, s’embarque aux grands larges à la découverte des affrontements langagiers, armées de mots armées de maux, pour naître et renaître, petite fille, fière amoureuse, Éros oubliant son alter Thanatos. […] Dans ce chaos primitif, Louise Moaty se joue de la confrontation des sens née des allitérations, comme aux plus beaux soirs du Bateau-Lavoir et des jeux d’écritures automatiques :
« Caverne creuse caverne où bat le gong cage de sang épais lente caverne d’eau dérive pulsatile en courant opposés monument de vapeur de forêts sans lumière de matières fébriles aux charnières grinçantes aux plis recomposés justice renversée … »
L’incantation est théâtre, un théâtre de cruauté cher à Artaud, une voix qui se lit, une voie qui se dit et rien ne vaut le fleuve désordonné de la parole sauvage pour dire ce que l’on veut taire.
[...]
Est-il besoin de dire tout le travail qu’il faut pour arriver à ce simple retournement ? Pour que la fragilité de la fleur, de l’écriture, de nos vies s’abandonne à la nuit ? Nous sommes dans le noir de Soulages, dans cette matière qui n’existe que par opposition et Louise Moaty nous guide dans cette pénombre où le sens de nos vies nait de nos épreuves […].
Repères : Louise Moaty : A la métamorphose. Préface : Isabelle Baladine Howald, couverture de l’auteure. On se le procure contre 6€, à l’adresse de la revue : 11 rue Général Sarrail – 89000 Auxerre, ou à la Boutique ouverte sur le site : ici.
On s’abonne à la collection Polder à la même adresse ou par paypal : ici.
On lit dans son intégralité la critique de Philippe Milbergue à propos du livre de Louise Moaty : ici .
Vertu de la métamorphose
Quelques jours plus tôt, sur ce même site poésiechroniquetamalle, Patrice Maltaverne saluait avec enthousiasme Te léguant ton œil mort, de Jérôme Nalet (polder 187). Il se penche à présent sur le second livre de notre livraison d’automne , soit le polder 188 : À la métamorphose, de Louise Moaty.
La clé de À la métamorphose de Louise Moaty, recueil de poèmes publié dans la collection Polder de la revue Décharge, réside dans son titre et plus particulièrement dans ce mot : métamorphose, qui explique la diversité de ton et d’écriture de ce recueil.
Si quand elle touche les corps, la métamorphose peut être violente et provoquer la mort, elle participe aussi du grand ballet que font les éléments, avec, en premier lieu, la lumière. La métamorphose d’un être peut venir aussi de l’amour.
Les textes de Louise Moaty ont des qualités poétiques indéniables en ce qu’ils changent d’état très vite, passant de la violence à la douceur. ou de la joie à la tristesse, avec légèreté. C’est la vertu de la métamorphose.
Patrice Maltaverne extrait à la suite un long poème du recueil (on se reportera sur le site poésiechroniquetamalle, pour lire l’intégralité de cette note de lecture), avant de préciser : La préface est d’ Isabelle Baladine Howald , la première de couverture est de l’auteur.
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« Enchanteur et plein de surprises » (J. M)
Dans l’article de présentation des Polders d’automne (cf. Repérage du 15 novembre 2020), je disais les doutes qui assaillent le responsable de collection (et je vous laisse deviner quels peuvent être celle d’un auteur !), à partir de cet instant où ses ouvrages sont livrés au public. Au bout du compte, l’attente aura été brève, grâce à Jacques Merceron, poète récemment retrouvé en un coin perdu de l’Indiana (voir Retour à Bloomington, du 30 mars 2020), qui nous communique, en un louable célérité, son enthousiasme (c’est le mot qu’il emploie) de lecteur pour A la métamorphose, de Louise Moaty, polder 188.
Et voilà, alors que je mets en place la présente note de lecture pour une mise en ligne à venir, qu’on m’informe que le second polder ( n° 187) : Te léguant mon œil mort, de Jérôme Nalet, vient à son tour d’être distingué. Par Patrice Maltaverne, sur son site : poesiechroniquetamalle. Je ne manquerai pas d’y revenir très prochainement, de reproduire ici même les propos de ce critique avisé, - chaque chose en son temps, ne brûlons pas les étapes. Mais je me réjouis déjà de la bonne nouvelle : il est toujours perturbant pour un responsable de collection de constater que les ouvrages, auxquels il a apporté une égale attention, reçoivent en retour une inégalité de traitement critique.
Pour l’heure, revenons au courriel de Jacques Merceron :
À la fois merveilleux, enchanteur et plein de surprises, ce Polder 188 qu’est À la métamorphose de Louise Moaty, premier recueil de cette autrice ! Une poésie qui s’offre d’abord comme une série de séances de dissection et d’inventaires litaniques du corps, séances qui se retournent parfois comme des gants ou des manches – un coup à l’endroit, un coup à l’envers – ou qui prennent des chemins de traverses. On croit parfois pénétrer pour un instant sur des territoires vaguement familiers : je veux offrir aux chiens des yeux de verre dorés, vers que n’aurait sans doute pas renié Bison Ravi.
Louise Moaty retrouve aussi – étonnamment – à son su ou à son insu, certains accents d’œuvres médiévales, mais toujours insérés dans des fulgurances modernes. Avec son J’ai été singe… j’ai été oiselle de paradis… j’ai été femme…, puis affirmant qu’elle a été vent, feu, peau de pierre, etc., on croit rejoindre un court instant le Kat Godeu (« Combats des arbrisseaux ») attribué à Taliesin, un antique barde gallois : J’ai été route, j’ai été aigle / j’ai été oracle sur la mer. / […] J’ai été serpent tacheté sur la colline, / j’ai été vipère dans le lac… Ailleurs, c’est le lai du Bisclavret de Marie de France, conte de loup-garou, quand, sous la lune, elle va mettre la peau de danger pour devenir loup, mais ce sera pour revivre au lendemain…
Dans ce parcours varié et parfois mené tambour battant, il y a aussi la tentation de l’immobilité ( sillonner pour que plus rien ne bouge, abandonner mon poids dans cette eau plus pesante ). Le ralenti se combine avec les cavalcades litaniques dans les coulisses du corps, avec des promenades oniriques étincelantes comme de la poudreuse. Louise Moaty nous enchante aussi par sa volonté de dire le monde comme un trésor, de nous faire voir la lumière comme rire du monde. Sous sa plume, la lumière crépite et déchire les ténèbres comme le surgissement d’un deus ex machina venant in extremis réconcilier de prétendus antagonistes. À la métamorphose enfin et surtout nous entraîne au plus intime des corps et du grand corps du monde ( tu rêves dans mes bras le monde entier) tressés ensemble par le fil d’or sombre du langage.
Repères : Polder 188 : Louise Moaty : A la métamorphose. Préface : Isabelle Baladine Howald, couverture de l’auteure. 6€, à l’adresse de la revue : 11 rue Général Sarrail – 89000 Auxerre, ou à la Boutique ouverte sur le site : ici.
On se procure pareillement le polder n° 187 : Jérôme Nalet : Te léguant mon œil mort.
On s’abonne à la collection Polder contre 20€ pour quatre publications, ou 45€ dans un abonnement annuel couplé avec la revue Décharge. Correspondance à l’adresse de la revue (voir ci-dessus), ou par paypal grâce à l’onglet S’abonner : ici.
De Jacques Merceron, lire les trois poèmes accueillis dans le Choix de Décharge 186 : A hue et à dia, Pas d’autre et Hippocampe vibrant.