publié le 23 février 2021 , par dans Accueil> Repérage
L’important au fond (fi de ces distinctions) est que ces publications restent l’une et l’autre deux objets précieux, quasi bibliophiliques, deux micro-livres d’art qu’il s’agit – selon les recommandations de l’éditeur – de découronner, c’est-à-dire non de placer une tête royale sous la guillotine, mais d’en délicatement couper les pages avec un coupe-papier. Et il aurait été bienvenu de célébrer dignement cette trentenaire, Ficelles et Plis urgents confondus, ce qui pourrait néanmoins avoir lieu, dans le meilleur des cas, en juin prochain, Place Saint-Sulpice, sur le Marché de la Poésie où le stand de Vincent Rougier est des plus pittoresques.
En attendant des conditions plus favorables aux manifestations publiques, l’éditeur adressa, pour marquer cet anniversaire, en début d’année à ses abonnés une gravure de sa main – un poireau – protégée non comme à l’accoutumée par un transparent, mais bel et bien par un masque chirurgical de circonstance – ce qui lui permit dans la dédicace qui l’accompagnait d’évoquer un Poireau masqué en référence bien sûr au Concombre de Nikita Mandryka. Et assurant par ailleurs que Rien n’est plus beau que la fleur de poireau, masqué ou pas.
Vincent Rougier se damnerait, je crois, pour un bon mot, un détournement, un trait d’humour. Et ses choix évidemment reflètent cette propension : si dans les textes qu’il présente, on trouve comme attendu des poèmes : ainsi, dernier en date : de Luce Guilbaud, Perspective flottante qui chante en vers le marais curieusement désigné comme poitevin quand il s’agit d’un marais vendéen, comme le rectifie justement dans la préface Jean-Claude Touzeil. Plus caractéristique de la collection et de l’esprit de son éditeur me paraît L’Agendada déjà évoqué, qui bénéficie en sus de l’apport de cet autre humoriste qu’est Yves Barré (on se souvient d’État de chaise, - cf : I.D n° 515 - chez le même éditeur), dans son expression plastique : culs de lampe et linogravure. Un aphorisme de Werner Lambersy (plus noir, on ne peut guère ) :
Il faut enculer les mouches car bientôt elles vous le rendront bien.
Parmi les formes courtes, et comme écrits dans les marges d’une œuvre, je retiens le Pli urgent n° 58, paru en fin d’année 2020 : Longtemps je me suis couché de bonheur, de Constantin Kaïteris, où l’auteur se livre à un exercice tout à fait réjouissant, d’Incipitations, comme lui-même le nomme. Il s’agit d’imaginer des débuts de roman, - des incipits donc -, souvent inspirés, comme le titre l’indique assez fort, des premières phrases de romans célèbres. Ainsi, du même roman de l’illustre Marcel, Kaïteris propose un autre détournement :
Longtemps je me suis touché deux bonnes heures. (Dès que maman avait éteint la bougie – mais pas celle de mes désirs - et refermé la porte.)
Ne convient-il pas d’envisager avec sérieux la suggestion de Kaïteris : de considérer l’incipit comme une forme littéraire, achevée, complète, comme le sonnet ou la sextine ?
Je vous laisse y réfléchir, lectrice et lecteur. En voici un autre exemple :
- Quel est bon parfum préféré, mon lapin ? demande la robuste marchande de glaces en se penchant entre ses deux colonnes de cornets pour mieux voir le petit garçon de 4 ans qui lui fait face.- Sanel, sanel numéro 5, lui répond-il.
Repères : On souscrit et s’abonne à une année de ficelles et de plis urgents à l’Atelier Vincent Rougier. Tout renseignement : Les Forettes – route de la Trappe – 61380 Soligny-la-Trappe ou rougier.atelier wanadoo.fr. Et ici : http://www.rougier-atelier.com/
Récemment, dans cette même rubrique La vie des revues : TXT n° 34. Précédemment : Des Pays habitables n° 1 ; Po&sie 171 ; L’Intranquille n° 18 ; Le Matricule des Anges n° 212-213 : Pierre Vinclair.