On y lira l’intégralité du long article de Philippe Milbergue, dont je publie quelques passages, et on y découvrira d’autres chroniques proposées par ces Morfals, à propos de Jacques Izoard par exemple, ou du récent prix Nobel Louise Glück ou de la revue numérique Gustave.
Avant de vous parler de Louise Moaty, j’aimerais vous parler de la collection Polder [1], qui depuis plus de quarante ans maintenant travaille à l’émergence de nouvelles voix poétiques.
Quarante ans, le bel âge. [...] Depuis les premiers volumes, qui publièrent notamment Hervé Lesage, Alex Millon, Jean-Pierre Lesieur (une autre légende !), Éric Tremellat, Jean-Louis Rambour et autres Christophe Jubien (je les nomme, je les apprécie mais ma liste est loin d’être close) jusqu’aux dernières occurrences où nous découvrons de nouvelles joueuses comme Milène Tournier, Gaëlle Boulle, Chloé Landriot, Christine Zhiri et Marie-Laure Le Berre ou Orianne Papin (voir la Chronique consacrée à Gustave ), ils et elles ont tous et toutes apporté leurs différences. L’éclectisme a été, est toujours la règle.
La collection Polder poursuit son périple en Terra Incognita, à la recherche de nouvelles voies, de détroits, d’estuaires, de ports d’attache ou de grands larges. Une constance partagée avec la revue Décharge. Parfois dans la tourmente, en butte aux bourrasques économiques, aux frais postaux qui sont la honte de notre pays. […] Quarante ans de premières œuvres ou quasi, de chances données à des écritures qui se seraient peut-être arrêtées sans cet imprimatur. Pas de chapelle, pas d’école, pas de courants. Et l’impartialité des choix garantie par l’unanimité des votes. Quatre lecteurs que je me dois de remercier et qui façonnent, depuis les années ’80, une partie de mon paysage poétique : Jacques Morin, alias Jacmo, Alain Kewes, Yves Artufel et Claude Vercey. Tous les quatre sont éditeurs, tous les quatre sont poètes, ceci, sans doute, explique cela.
Pour découvrir la diversité des propositions, trois anthologies ont été publiées sous les titres de Génération Polder, Polder deuxième génération, Génération Polder tome 3.
Et puis, ce Polder n° 188, clôturant ce premier cycle de quarante ans, entamant la quatrième génération avec la voix d’une nouvelle poétesse, Louise Moaty.
La préface, signée par Isabelle Baladine Howald, ouvre le livre par ces mots :
« À la métamorphose est un tremblement de flamme porté haut, une déclaration qui porte en elle son paradoxe de force et d’inquiétude. À la lecture je l’ai pris comme une rafale de vent qui m’a laissé saisie sur place.
Il y a la puissance de l’écriture de Louise Moaty, comme une frappe quand on la lit, on commence avec le monde solide, le sol rugueux sur lequel nous marchons, qui est parfois secoué dans le tréfonds de magma. »
Elle poursuit en filant la métaphore des éléments changeants, l’eau et le feu, la glaise et l’anima, l’oiselle du jour et de la nuit, les flux et reflux de la violence et de la douceur.
On ne dira jamais assez l’importance d’une bonne préface. Elle ouvre l’appétit, aiguise le désir. Grâce à elle, on aborde le texte autrement et ma première lecture était portée par le souffle de la lecture d’Isabelle Baladine Howald, par les références implicites à Ovide, pas celui des Métamorphoses, non, justement, ce serait trop facile, mais celui de l’Art d’aimer.
Ce recueil est d’abord une déclaration d’amour, de cet amour qui nous métamorphose littéralement et nous transforme en singe, en oiselle, en peau de pierre. C’est un cri, une adresse, un souvenir, un futur. Une plainte. Une envie.
[...]
Des proses de Révolutions ouvrent puis rythment le recueil. Ces textes prêtent aux objets, aux éléments, des volontés propres, des sentiments, comme au temps du Chaos. Comme s’il fallait détruire le monde pour qu’il puisse se recomposer. Le magma et la fusion. L’ouverture des corps écorchés, pour voir l’intérieur des âmes, des viscères, des os, de ce qui ne peut pas mentir, de ce qui se tait, de ce qui se voit.
Une seule phrase, vive, qui cascade de poème en poème, une phrase à l’encontre de toutes écritures modernes où le sujet précède le verbe, le complément et le point d’arrêt. Une Phrase qui chavire et chaloupe, quitte le lit des rivières, s’embarque aux grands larges à la découverte des affrontements langagiers, armées de mots armées de maux, pour naître et renaître, petite fille, fière amoureuse, Éros oubliant son alter Thanatos. […] Dans ce chaos primitif, Louise Moaty se joue de la confrontation des sens née des allitérations, comme aux plus beaux soirs du Bateau-Lavoir et des jeux d’écritures automatiques :
« Caverne creuse caverne où bat le gong cage de sang épais lente caverne d’eau dérive pulsatile en courant opposés monument de vapeur de forêts sans lumière de matières fébriles aux charnières grinçantes aux plis recomposés justice renversée … »
L’incantation est théâtre, un théâtre de cruauté cher à Artaud, une voix qui se lit, une voie qui se dit et rien ne vaut le fleuve désordonné de la parole sauvage pour dire ce que l’on veut taire.
[...]
Est-il besoin de dire tout le travail qu’il faut pour arriver à ce simple retournement ? Pour que la fragilité de la fleur, de l’écriture, de nos vies s’abandonne à la nuit ? Nous sommes dans le noir de Soulages, dans cette matière qui n’existe que par opposition et Louise Moaty nous guide dans cette pénombre où le sens de nos vies nait de nos épreuves […].